5 days ago
Les ventes de commerçants québécois baissent, les prix aussi
Shein et Temu soufflent dans le cou des commerçants québécois. Plus de la moitié d'entre eux ont observé une baisse de leurs ventes depuis l'arrivée de ces géants chinois de vente en ligne, si bien que 67,6 % des détaillants d'ici se sont résignés à réduire leurs prix pour tenter de rester dans la course.
C'est du moins ce qui ressort d'un sondage mené en juin par le Conseil québécois du commerce de détail (CQCD) auprès de 37 enseignes d'ici représentant 1500 magasins.
Ces résultats qualifiés d'inquiétants ne surprennent toutefois pas les détaillants interrogés par La Presse, au moment même où Shein occupe pour quelques jours une boutique éphémère (pop-up) au centre-ville de Montréal.
PHOTO ÉDOUARD DESROCHES, ARCHIVES LA PRESSE
Vitrine du magasin éphémère de Shein
La popularité grandissante de ces sites à bas prix, que bon nombre de commerçants accusent de concurrence déloyale parce qu'ils vendent des articles (vêtements, jouets, chaussures, bijoux) de piètre qualité à des prix dérisoires et en plagiant certains articles, nuit aussi aux friperies Renaissance qui peinent à revendre les articles usagés de Shein ou de Temu en raison de leur mauvaise qualité.
« Avez-vous déjà tricoté un foulard, madame ? Savez-vous combien de temps ça prend ? Combien coûte la laine ? », demande systématiquement Marilyne Baril, propriétaire de l'atelier boutique Marigold à Montréal, lorsque des clientes lui disent que ses prix sont trop élevés en comparaison de ce que l'on retrouve sur certaines plateformes d'importations chinoises. Sur le site de Shein, les consommateurs peuvent aisément se procurer une robe à 14 $ et des chaussures pour enfants à 11 $, par exemple.
« Je leur explique combien ça coûte de fabriquer localement, quel est le salaire minimum », ajoute celle qui enseigne également en design et en marketing de mode au Collège LaSalle.
PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE
La propriétaire de l'atelier boutique Marigold, Marilyne Baril
Ça n'a pas de sens qu'on puisse acheter des vêtements à ce prix-là. Donc, clairement, il y a des humains qui sont maltraités quelque part.
Marilyne Baril, propriétaire de l'atelier boutique Marigold et enseignante en design et marketing de mode au Collège LaSalle
Jessika Roussy, copropriétaire des 11 magasins Mode Choc, spécialisés dans les vêtements pour toute la famille, entend régulièrement elle aussi des commentaires de la part de clients qui comparent ses prix à ceux de Shein, par exemple. Si 58 % des détaillants québécois interrogés dans le sondage calculent que l'apparition de Shein et Temu a affecté leurs ventes, 17 % affirment avoir observé une « baisse marquée ».
« Pour les stratégies de vente, ça met une pression énorme sur les prix », reconnaît Mme Roussy, qui a participé au sondage et qui fait également partie des signataires de deux lettres envoyées depuis l'an dernier à des députés fédéraux et provinciaux pour demander à Ottawa d'imiter la France en agissant pour mieux encadrer et pénaliser les fabricants de mode éphémère.
PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE
Atelier boutique Marigold
Si des détaillants comme Mode Choc ne peuvent pas toujours égaler les prix des plateformes chinoises, ils tentent de s'en rapprocher au moment des soldes. « On s'assure dans nos promotions d'offrir des prix équivalents. Beaucoup de détaillants comme nous sont très agressifs dans leurs soldes en ce moment. Encore plus cette année. Les soldes commencent plus tôt et ils s'étirent plus longtemps dans le temps. »
Elle croit que la présence de Shein et Temu n'est pas étrangère à ce phénomène.
Visibilité en ligne
Par ailleurs, selon une enquête de NETendances 2024, ce sont 74 % des Québécois adultes qui ont fait des achats en ligne. Parmi eux, 40 % ont fait au moins une commande sur des sites d'importations chinoises comme Shein et Temu.
De son côté, l'enquête du CQCD révèle que 40,5 % des répondants ont signalé une baisse de visibilité en ligne.
« Pour le référencement, ces sites sont extrêmement agressifs, soutient Jessika Roussy. Ils ont plusieurs multicampagnes numériques qui effectivement vont venir gruger de la visibilité. »
Des dons… irrécupérables
L'ampleur du phénomène inquiète également chez Renaissance. « Si nous on reçoit de plus en plus d'articles provenant de Shein et Temu, on ne pourra pas les revendre à cause de la qualité. Ce n'est presque pas réutilisable », explique son directeur général, Éric St-Arnaud.
« J'ai fait le test. J'ai acheté certains vêtements, je les ai mis dans la laveuse et les coutures ont commencé à se défaire. »
S'il est incapable de la chiffrer, M. St-Arnaud a noté une augmentation des dons de vêtements et autres articles provenant de ces sites au cours de la dernière année.
PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE
Allées d'un magasin Renaissance
Et comme les détaillants, les friperies Renaissance peinent également à offrir des prix aussi alléchants. « Ces plateformes vendent des articles qui sont souvent moins chers que nous dans l'usagé. »
Au moment d'écrire ces lignes, Shein et Temu n'avaient pas encore fourni de réponses à nos questions. À la suite d'une demande d'entrevue de La Presse la semaine dernière, à l'occasion de l'ouverture de sa boutique éphémère, Shein a répondu par courriel que le Canada était « un marché important et en pleine croissance » pour l'entreprise.
Au ministère fédéral des Finances, on se dit « au courant de l'augmentation importante du nombre de colis de faible valeur provenant d'entreprises comme Shein et Temu ». « Le Canada maintient également un système solide et actif de recours commerciaux qui aide à protéger les entreprises canadiennes contre les pratiques commerciales déloyales des exportateurs étrangers. Si les producteurs canadiens subissent des préjudices à cause d'importations faisant l'objet d'un commerce déloyal, ils peuvent déposer une plainte auprès de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) », nous a-t-on indiqué dans une réponse officielle envoyée par courriel.